Le Sillon, Valérie Manteau

le sillon couv (Editions Le Tripode , 2018, 280 pages, ISBN : 9782370551672)

« Je rêve de chats qui tombent des rambardes, d’adolescents aux yeux brillants qui surgissent au coin de la rue et tirent en pleine tête, de glissements de terrain emportant tout Cihangir dans le Bosphore, de ballerines funambules aux pieds cisaillés, je rêve que je marche sur les tuiles des toits d’Istanbul et qu’elles glissent et se décrochent. Mais toujours ta main me rattrape, juste au moment où je me réveille en plein vertige, les poings fermés, agrippée aux draps ; même si de plus en plus souvent au réveil tu n’es plus là. »

Récit que l’on devine en partie autobiographique, Le Sillon prend place au cœur de la Turquie et l’autrice dans ce voyage qu’elle a elle-même fait en quête d’un ailleurs, d’un recommencement.

La première chose qui me saisit à la lecture de ce roman est une impression de récit décousu. Les paragraphes s’enchaînent entre sensation de réflexions personnelles et échange avec une autre personne. Cette autre personne que l’on devine au fil des pages, être le compagnon , l’amant de la narratrice, ni l’un ni l’autre nommés.

Ce désordre apparent prend corps petit à petit au fil du récit et l’on recolle patiemment les pièces du puzzle. Le mal être du personnage principal que l’on devine être l’autrice, devient ainsi de plus en plus palpable au fil du récit et semble expliquer ledésordre apparent de la réflexion menée .
On devine une quête de compréhension du terrorisme, de toute cette violence qui secoue régulièrement le monde après les terribles épreuves de Charlie Hebdo et du Bataclan en France. Pour autant Valérie Manteau met en exergue dans les échanges entre ses personnages, le fait que le terrorisme n’aurait pas la même valeur partout. En effet, comment expliquer que ces attentats subis par la France aient soulevé l’indignation et le soutien de la communauté internationale, alors que des pays, comme la Turquie subissent des faits analogues et que nous n’en entendions même pas parler dans nos médias?

L’autrice semble ainsi, à travers sa narratrice comme en quête de compréhension à travers d’autres drames qui nous sont moins connus à nous européens, français, mais qui ravagent ailleurs d’autres sociétés dans l’indifférence presque générale. Est-il plus facile de chercher à comprendre à travers des faits qui semblent a priori nous toucher moins? plus éloignés de notre réalité?
A travers un essai de critique politique, l’autrice nous fait ici un exposé de la situation turque entourée du non dit international en s’intéressant au cas de Hrant Dink, un dissident politique, a priori gênant pour le gouvernement en place.

Le récit mêle ici une recherche personnelle, comme une quête de sens à la propre vie de la narratrice, à travers les relations qu’elle noue et dénoue. Mais également, elle nous donne à voir intrinsèquement tissé à cette quête première, un besoin de compréhension plus vaste de la société-monde dans laquelle nous évoluons.

Ce livre ayant reçu le prix Renaudot alors qu’il attendait sagement son tour d’être lu chez moi, cela a davantage attisé ma curiosité. Bien que le récit me soit apparu très brouillon dans un premier temps, je n’ai eu aucun mal à entrer dans l’histoire. Davantage même, je dois dire que les mots de Valérie Manteau ont su me toucher et aller me questionner peut-être, là où je ne m’y attendais pas et je suis ressortie assez secouée de ce roman, sans bien en identifier la raison. J’imagine qu’il ne touchera pas chacun de la même façon mais je ne peux qu’en recommander chaudement la lecture tant la plume de l’auteur m’a emmené malgré moi dans l’intimité de son personnage principal et dans une réflexion plus profonde sur le besoin d’être attentif à tous ressentis humains à une échelle planétaire.

G.

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